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Les directeurs de Centre d’information et d’orientation (DCIO) et les nouvelles gouvernances

Kevin PERRIN, directeur du CIO de Nancy, secrétaire de l’Association Nationale des DCIO et Bernard Desclaux, DCIO honoraire, membre du GREO et du CICUR

La consultation nationale interroge les différents acteurs de l’orientation à propos de la gouvernance qui notamment, résulte de la loi de 2018. Proposons quelques remarques et surtout élargissons l’approche en amont de cette loi qui participe à une évolution plus globale.

Interrogations sur la gouvernance

Commençons par deux définitions de ce terme : « De l’anglais governance, le terme « gouvernance » désigne un ensemble de décisions, de règles et de pratiques visant à assurer le fonctionnement optimal d’une organisation, ainsi que les organes structurels chargés de formuler ces décisions, règles et pratiques, de les mettre en œuvre et d’en assurer le contrôle. Le concept de gouvernance s’applique à tous les niveaux d’organisation : privé et public, local, régional, national, international, mondial… »[1] L’accent est mis ici sur la complexité pragmatique.

Une deuxième insiste sur l’implication des acteurs : « La gouvernance est l’ensemble des règles et des processus collectifs, formalisés ou non, par lequel les acteurs concernés participent à la décision et à la mise en œuvre des actions publiques. Ces règles et ces processus, comme les décisions qui en découlent, sont le résultat d’une négociation constante entre les multiples acteurs impliqués. Cette négociation, en plus d’orienter les décisions et les actions, facilite le partage de la responsabilité entre l’ensemble des acteurs impliqués, possédant chacun une certaine forme de pouvoir. »[2]

Le terme désigne donc un objet particulièrement complexe et aux frontières floues.

Jacques Chevallier introduit l’idée de modification des méthodes de l’exercice du pouvoir. « la logique de la gouvernance affecterait en tout premier lieu l’État, en remettant en cause ses modes d’emprise sociale et, au-delà, les assises de son institution ; la substitution aux techniques classiques de « gouvernement » des méthodes nouvelles de « gouvernance » serait indissociable d’un ébranlement plus profond d’un modèle étatique, emblématique de la modernité. »[3]

Jan Spurk insiste sur l’introduction de la société civile, affaiblissant les contours de l’État. « La gouvernance est, depuis les années 1980, devenue un des mots-clés du fonctionnement des institutions, des entreprises, mais également de la vie politique. Elle n’est pas seulement considérée comme l’alternative à la conjonction des dysfonctionnements des régimes bureaucratiques, aussi bien dans les entreprises que dans les institutions. Elle valorise également la « société civile » et elle prétend être la solution des problèmes d’efficacité et de légitimité des gouvernements sur les plans nationaux, régionaux, locaux et internationaux. »[4]

L’apparition du terme dans l’EN

L’utilisation du terme de gouvernance est apparue dans les milieux hiérarchiques de l’EN à la fin des années 90. C’est, sans doute, l’effet des lois de décentralisation et de déconcentration. Le pouvoir central en les promulguant s’est affaibli comme unique organisateur. Désormais, l’efficacité du pouvoir central dépend de ce qui s’organise à différents étages. L’illusion du contrôle absolu est tombée. Mais à l’époque, le terme de gouvernance désigne ce qui se passe essentiellement au sein de l’EN.

Au fur et à mesure, des compétences étatiques, centralisées, ont été d’une part transférées aux collectivités territoriales (département et région), et d’autre part, furent créées de plus en plus de compétences inter ou multi ministérielles. Les silos ministériels devaient travailler ensemble ainsi que les acteurs de terrain.

Autrement dit, pour ce qui concerne l’orientation, elle se trouve soumise ou dépendante de plusieurs « gouvernances » : du ministère, mais aussi de l’État au titre de l’orientation tout au long de la vie (qui dépasse le champ de l’EN), de la région comme coordinatrice du SPRO, mais aussi depuis 2018, responsable de l’information sur les métiers et les formations… Ajoutons la nouvelle politique de l’État : réduire les services publics tout en développant d’autres acteurs pour réaliser ces services : le financement d’associations (telles que Article 1) et de nouvelles entreprises ou dispositifs numériques (payant éventuellement) par la pratique des PIA (Programme d’investissements d’avenir) ou le développement de « start-up d’État »[5].

Au début des années 2000, les DCIO étaient convoqués par le préfet à des réunions pour tenter de coordonner divers dispositifs. Ils rencontraient le même problème que dans les années 90, durant lesquelles la politique des partenariats se développait : le DCIO ne peut que s’engager personnellement, en aucun cas il ne peut engager le CIO et ses personnels.

Les évolutions générales, un nouveau cadre de fonctionnement de l’État

Il y a eu très nettement un avant et un après 2017 dans plusieurs domaines que l’on peut résumer ainsi.

Agir avant de réfléchir

Jusqu’en 2017, suivant la logique de déconcentration, les Rectorats recevaient la plupart des directives avant leur publication officielle et avaient le temps de préparer leur application en fonction des spécificités académique et départementales, élaborer des documents d’accompagnement, des formations, etc. Dans la plupart des cas, des consignes académiques et des ressources étaient diffusées en complément du (et en même temps que le) texte national. La temporalité permettait alors de travailler « à n-1 » en préparant la rentrée suivante.

Après 2017, un nouveau rythme a été imposé aux administrations. La chronologie de mise en œuvre de Parcoursup en est un bon exemple. En remplacement d’APB, la plateforme Parcoursup a été ouverte au public le 15 janvier 2018. En amont, tout un travail de paramétrage des formations a dû être fait durant plusieurs mois par les SAIO, en lien avec les établissements du secondaire et du supérieur. Or, le décret de création de Parcoursup date du 11 mars 2018[6], soit plus d’un mois après la formulation des premiers vœux par les candidats. La procédure a donc été mise en œuvre plusieurs mois avant sa création officielle. Autre fait étonnant, il faudra attendre le 19 juin 2018 pour que soit officialisée la création, au sein du ministère chargé de l’enseignement supérieur, « d’un service à compétence nationale dénommé « Parcoursup »[7] ». La loi instituant Parcoursup a donc été votée après sa mise en œuvre. Les textes officiels, théoriquement prévus pour apporter un cadre et des directives, n’ont eu d’autre utilité ici que de régulariser des faits.

Malheureusement, cette nouvelle temporalité a supprimé une étape essentielle d’opérationnalisation qui permettait à chaque académie d’identifier les éventuelles difficultés et d’ajuster les règles avant la mise en œuvre. On est passé d’un ajustement a priori, par le biais des instances représentatives et les échanges avec les acteurs de terrain, à un ajustement a posteriori, visant à résoudre les difficultés au fur et à mesure, sans anticipation.

Une déresponsabilisation des niveaux supérieurs

« Dans son discours au haut encadrement du ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, Elisabeth Borne […] a fixé une nouvelle méthode fondée sur la confiance et la responsabilisation à tous les niveaux du système éducatif » peut-on lire dans un post LinkedIn de Boris Melmoux-Eude, DGRH du Ministère. Ce même message débute par : « notre système éducatif ne doit plus être un carcan descendant. Cette époque est révolue : j’attends de vous des solutions concrètes, des actions mesurables et des avancées tangibles dans vos territoires ».

« L’ancienne méthode », du moins celle en vigueur à l’arrivée d’Elisabeth Borne rue de Grenelle, ne semblait pourtant pas si différente. Mises en place alors qu’elle occupait les fonctions de Première ministre en septembre 2022, les PPG (pour « Politiques Prioritaires du Gouvernement ») se fixent l’objectif de « transformer profondément l’action publique et débureaucratiser »[8], mais comment ?

Pendant longtemps, les grandes lignes de fonctionnement de l’administration consistaient à publier des textes à mettre en œuvre sur le terrain, avec obligation de moyens, mais pas de résultats. Si les résultats étaient mauvais, c’est que le texte n’était pas bon. Les acteurs du terrain faisaient au mieux et si ça ne fonctionnait pas, c’était la faute du Ministère.

Depuis 2017, les directives ne souffrent d’aucune critique constructive, le national est infaillible et, par conséquent, si la mise en application des textes n’est pas bénéfique, c’est la faute de l’académie. C’est la pleine expansion du New Management. Les chiffres de chaque académie et départements sont partagés chaque jour aux Recteurs et Dasen avec l’idée de “comment se fait-il que “vous” n’ayez pas des bons chiffres alors que “telle académie/département” y arrive”. Le benchmarking, la comparaison systématique des acteurs, permet ainsi la déresponsabilisation de l’étage supérieur.

Une responsabilisation totale des usagers

Enfin, que ce soit via la communication autour de la transparence de Parcoursup, des nouveaux outils d’accompagnement (Horizon 21, la plateforme Avenir, l’intelligence artificielle), ou encore les « compétences à s’orienter », le discours tend vers une responsabilisation totale des élèves et des familles : “vous avez toutes les clés en main pour « réussir » votre orientation, si vous échouez ce sera uniquement de votre faute” ; sans que soient remis en question les facteurs externes que sont les procédures d’orientation et d’affectation, la ségrégation sociale à laquelle concourent les établissements privés, et l’ensemble des déterminismes sociaux, territoriaux et de genre qui sont mis en cause par de nombreuses études pour leur influence sur les choix d’orientation.

Des ressentis différents

Avec le statut de PsyEn, les DCIO ont perdu leur statut qui les différenciait des conseillers d’orientation-psychologues. Ils sont un PsyEn ayant une fonction de direction. Impliqués de plus en plus dans divers dispositifs, ils participent à de nombreuses réunions dans lesquels ils côtoient d’autres acteurs d’horizons très différents, et de niveaux hiérarchiques également différents. Cette situation peut avoir bien des conséquences et être ressentie de différentes manières.

On peut avoir une forme d’euphorie. Cette multiplication de sollicitations est une forme de reconnaissance de leurs compétences, une reconnaissance professionnelle, mais aussi personnelle.

Mais il peut également y avoir un versant négatif. Cette multiplicité des situations, des déplacements et la charge mentale est épuisante. Pour certains, la faible rémunération ne vaut pas cet investissement peu limité. 

Ces activités éloignent le directeur de son/ses CIO et des personnels tant sur le plan physique que professionnellement. Les préoccupations s’éloignent. D’un côté, on remarque une responsabilisation des personnels tant administratifs que techniques. Mais d’un autre le pilotage des équipes est difficile.

Cette situation peut être une ressource importante. Le DCIO peut permettre une compréhension élargie de l’orientation, des évolutions générales de fonctionnement, des différents points de vue. Mais il peut également rencontrer un désintérêt de la part des personnels. Rien n’est gagné.

Interprétations sociologiques

On peut proposer diverses approches pour comprendre.

Depuis les années 80, on utilise la théorie stratégique de Michel Crozier, et notamment la notion de marginal-sécant. Le Psyen est un marginal-sécant, il est à la fois dedans-dehors par rapport à l’établissement. C’est un avantage stratégique pour le PsyEn, mais pour l’établissement, les établissements, il peut être ressenti comme dangereux. Il est en effet en capacité de divulguer des secrets, des particularités à protéger. Aujourd’hui il en est de même pour le DCIO. Étant impliqué dans divers dispositifs, il peut enrichir les débats, impulser, coordonner des actions partenariales et développer des synergies. Cependant, dans de nombreux contextes où les parties engagées cherchent à s’approprier les bénéfices, il peut être ressenti comme un danger.


Il est possible d’utiliser une autre théorie, notamment la théorie de la traduction élaborée par Michel Callon et Bruno Latour. Le DCIO par cette multitude d’activités se trouve en rapport avec plusieurs Mondes. Il peut alors être en position de traducteur. Il peut essayer de traduire aux uns et aux autres les positions mutuelles incompréhensibles la plupart du temps. Mais ce travail de traduction se surajoute à la simple participation aux situations, et il n’est pas certain que les uns et les autres réclament et acceptent cette traduction. Le messager risque sa peau, parfois.

Dans le cadre de la « concertation nationale sur l’orientation », la gouvernance occupe la première place dans les questions posées par le Ministère. Cependant, le sujet y est traité uniquement sous l’angle du partage de compétences entre l’État et les régions, et les questions que nous soulevons ici ne semblent pas entrer dans le champ de leurs préoccupations.


[1] Anonyme. (20 juin 2018). Gouvernance : définition, objectifs, principes, volet social et sociétal. https://youmatter.world/fr/definition/gouvernance-definition-objectifs-principes-volet-social-et-societal/

[2] Isabelle Lacroix et Pier-Olivier St-Arnaud. (2012). La gouvernance : tenter une définition. Cahiers de recherche en politique appliquée Vol. IV, Numéro 3, p 19-37. https://www.usherbrooke.ca/politique-appliquee/fileadmin/sites/flsh/politique/documents/cahiers/Vol4-no3-article2.pdf

[3] Jacques Chevallier. (2003). La gouvernance, un nouveau paradigme étatique ? Revue française d’administration publique. La réforme de l’État et la nouvelle gestion publique. /1 no 105-106. Pages 203 à 217. https://shs.cairn.info/revue-francaise-d-administration-publique-2003-1-page-203?lang=fr

[4] Jan Spurk. (2016). La gouvernance ou le règne de la raison instrumentale. L’Homme & la Société. La gouvernance entre promesses de futur et aliénation présente. /1 n° 199. Pages 21 à 46. https://shs.cairn.info/revue-l-homme-et-la-societe-2016-1-page-21?lang=fr#re1no1

[5] https://www.associations.gouv.fr/qu-est-ce-qu-une-start-up-d-etat-l-exemple-de-beta-gouv-fr.html

[6] https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000036700243/2018-03-11/

[7] https://www.education.gouv.fr/bo/18/Hebdo26/ESRA1811841A.htm

[8] https://www.modernisation.gouv.fr/territorialiser-laction-publique/piloter-les-politiques-prioritaires-du-gouvernement

Vers une orientation réussie, vraiment ?

Annick SOUBAI, directrice du CIO des enseignements supérieurs en Sorbonne et Bernard DESCLAUX, directeur de CIO honoraire.

Le titre même de cette consultation nationale est à interroger. Il laisse dans l’implicite la définition de l’orientation réussie, comme si l’idée de réussir son orientation allait de soi. Ainsi, en toile de fond rode toujours le principe adéquationniste qui ferait se correspondre, désir des personnes, métiers, emplois, permettant ainsi de trouver les bonnes personnes aux bons endroits, notamment dans les métiers dits en tension tout en permettant la réalisation de l’aspiration à une vie bonne. On oublie que certains métiers ne sont pas choisis, que certaines professions sont seulement alimentaires et ne correspondent à aucun rêve.

Au plan quantitatif

L’orientation est également une affaire quantitative : gestion des flux, résultats de la réussite aux examens, taux de passages dans telle ou telle filière. Ces chiffres attestant de l’atteinte des objectifs fixés au niveau international, européen, national, académique. La massification de l’enseignement supérieur, qui est aussi une démocratisation sélective, a conduit à multiplier par 9 les effectifs d’étudiants inscrits dans l’enseignement supérieur depuis les années 60. L’entrée dans le supérieur est passée du statut d’espérance, d’horizon inatteignable pour la plupart, à une sorte de norme sociale.

Sur le temps long, la population française est de plus en plus diplômée et, si l’on considère la tranche des jeunes jusqu’à 34 ans, la France est le pays qui compte le plus de diplômés d’un master (22 %). Les établissements d’enseignement supérieur ont réussi à répondre aux exigences d’une société de la connaissance. Des pôles d’excellence ont été créés, des alliances entre universités et grandes écoles, des partenariats avec des universités étrangères existent partout. L’alternance a été instaurée pour l’obtention des diplômes et l’apprentissage est très développé dans l’enseignement supérieur. Les relations avec les entreprises sont courantes. La qualité des diplômes est certifiée par les ministères et différentes commissions. L’insertion des diplômés est contrôlée. Mais, de fait, une grande partie de l’accroissement de cette population étudiante n’a pas été reçue dans l’enseignement public. Le secteur privé s’est largement développé sur la base de diverses opportunités. Tout d’abord, l’enseignement supérieur, en France comme dans le monde, est devenu un secteur marchand, et à ce titre on y trouve de tout, du sérieux comme du malhonnête. L’enseignement privé, moins contraint, moins contrôlé, est également plus véloce à l’adaptation et aux évolutions. Mais on observe également que cet enseignement privé permet l’isolement social, la mise à distance et la protection des enfants des plus nantis. Cette année, l’Etat veux nettoyer l’offre Parcoursup. Le pourra-t-il et quel en sera l’efficacité ?

En France, l’orientation est une réussite, la très grande majorité d’une génération accède à l’enseignement supérieur. La plateforme Parcoursup, malgré les critiques, est un outil parfaitement classant dans sa logique régulatrice, en fonction de capacités prévues en amont, et l’entrée en master est elle-même régulée grâce à la plateforme Mon master. La gestion des flux est donc réussie si l’on veut employer ce terme, au sens de performance d’un système à affecter et à diplômer. Elle s’établit selon les critères fixés, en termes de niveaux académiques, de taux de boursiers, de pourcentage de titulaires d’un bac professionnel ou technologique, de candidats hors secteur ou internationaux, de profils particuliers, sportifs de haut niveau, artistes ou élèves en situation de handicap.

Sur le plan qualitatif

Bien sûr, l’orientation ne dit pas tout des niveaux académiques, qui s’effondrent peu à peu, en mathématiques et de plus en plus en Français. Mais ce n’est plus la question de l’orientation dont on parle, mais celle de la pédagogie et de ceux qui la dispensent. La crise des savoirs ne fait que commencer avec le manque d’attractivité du métier d’enseignants qui fait s’éloigner de la profession les meilleurs éléments et fait craindre le manque de renouvellement d’un corps enseignant qui part massivement à la retraite. Ne confondons pas flux d’orientation, qui sont un résultat et évaluations scolaires et niveaux académiques qui sont des causes.

L’orientation est un système de tensions entre besoins de l’économie, aspirations des jeunes et des familles et offres de formation dans un contexte où les places sont limitées, l’Etat étant à la fois pour partie organisateur et régulateur de ce système de tension. Ce triangle, orienté jusqu’à présent par l’économie prédatrice et la compétition individuelle, doit être « orienté » vers un objectif commun, celui de la transition écologique, du développement durable et du travail décent pour dépasser les intérêts particuliers.

Parlant de l’orientation, conçue dans sa dimension d’accompagnement, si l’on se place du point de vue des familles, ou des élèves, qu’est-ce qu’une orientation réussie ? S’agit-il de réussir dans la vie ou de réussir sa vie ? Cette question ouvre à des réflexions philosophiques et politiques, qui interrogent la place des individus au sein de leur communauté d’appartenance, mais aussi dans le monde et sur la terre. Ces questions qui touchent le sens de la vie et du travail émergent dans un contexte, sans précédent, d’incertitude et de tension, que les établissements scolaires sont bien en peine d’étayer. Certains élèves issus des plus grandes écoles ont crié leurs doutes sur l’éthique de ce qu’ils ont appris, sur les conséquences écologiques et humanitaires de leurs futures activités professionnelles. Désabusés, un certain nombre de jeunes diplômés entretiennent un rapport purement instrumental à l’entreprise, dont ils n’attendent plus grand-chose sur le plan des valeurs.

L’expérience de la période du covid a également sans doute accentué l’individualisation, la recherche de satisfaction personnelle. Les conditions d’exercice d’une activité professionnelle sont plus sévèrement examinées, d’où de plus en plus de tensions dans différents secteurs (bâtiment, restauration, santé, enseignement, mais pas que). Le critère financier n’est plus nécessairement le premier critère. Les conditions de vie personnelles l’emportent souvent. Pour certains, ce sera le « retour à la terre », pour d’autre le recours au télétravail, ou encore à de nouvelles formes de travail comme les cabinets collectifs de santé à l’opposé de l’exercice individuel de la profession.

Quel horizon ?

La prise de conscience des effets des activités humaines sur les divers dérèglements de notre environnement (climat, carbone, biodiversité) a des conséquences diverses. Pour certains ce sera le développement d’une éco anxiété. Pour d’autres, ce sera une interrogation et une remise en cause de leur orientation professionnelle. Pour d’autres encore, ce sera à la fois de fameux « à quoi bon » ou encore « après moi le déluge ». Les Etats sont également pris dans ce dilemme, et hésitent quant à la stratégie choisir, ce qui se reflète dans les expressions les plus courantes telles que, transition écologique, réorientation écologique, développement durable, etc.

Comment réussir dans un monde où les lendemains ne chantent pas ? Les choix d’orientation percutent les soubresauts d’un monde qui se fragmente, dont on retrouve l’écho dans les thématiques du mal être dont souffrent les élèves et les étudiants, et aussi les équipes éducatives. Mais sans doute est-il sain d’être mal aujourd’hui et ne faudrait-il pas trop vite réduire cet état qui marque un certain discernement, quand il n’est pas pathologique ?

Une progression, une réussite ?

Pour faire un bilan général de la politique d’orientation des jeunes, il faut souligner que la France, comme tous les pays occidentaux, a réussi à scolariser sa population d’une manière massive dans une visée volontariste pour créer une société de la connaissance et aussi une société de paix. C’est un acquis et une performance, qu’il faut reconnaître et saluer. Et aussi maintenir. L’édification d’une société où la prospérité règne, grâce à l’éducation, n’est jamais certaine. Les questions d’orientation ne peuvent être traitées que dans la complexité en lien avec d’autres domaines : économie, sociologie, psychologie, sciences de l’Éducation, science politique, sciences et techniques et, bien sûr philosophie. 

Mais cette réussite (pour et de certains) a un revers. Les gouvernements espéraient bine sûr la paix sociale, mais le constat peut être un peu différents avec l’accroissement des distances sociales ressenties alimentant diverses révoltes (Gilets jaunes, émeutes de 2022), mais aussi divers symptômes sociaux de mal-être (suicides, drogues, violence). Nombres de sociologues insistent sur les ruptures sociales mettant en question la cohésion d’une société, (les sources de ruptures sociales : le chômage, l’échec scolaire, l’emprisonnement, la retraite). La tension entre centre et périphérie, le mépris de la part des sachants, la remise en cause des savants, etc., renforcent non seulement les ruptures et les distances, mais aussi les clivages.

Retour à la pédagogie

Une piste pour y remédier réside d’abord dans la prévention et dès la maternelle. Comme le préconise Boris Cyrulnik l’égalité des chances doit être envisagée dès le plus jeune âge. Les troubles des apprentissages doivent être traités le plus précocement possible. C’est par des pédagogies différenciées que le manque de vocabulaire peut être comblé, un changement de posture pédagogique s’impose donc. La relation pédagogique est au cœur de la réussite des apprentissages. Or, le modèle français ne permet pas, sauf exception, de remédier aux retards, malgré tous les apports des sciences de l’Éducation et des neurosciences. Ajoutons que la pédagogie ne peut suffire à résoudre ces écarts dès les débuts de la scolarisation. Les écarts sociaux (culturels mais aussi économiques) se trouvent renforcés par la forme pédagogique et les contenus d’enseignement (voir les travaux de Bernard Lahire et du CICUR par exemple).

Pour ce qui est de l’éducation à l’orientation proprement dite, elle relève d’une pédagogie propre, qui n’est pas enseignée en France, tout au plus en est-on à des actions ponctuelles fort bien faites. N’attendons donc rien de plus. Tout est fait de ce qui peut être fait culturellement. On ne veut pas changer.

Atmosphère, atmosphère…

 La confiance réclamée par Jean-Michel Blanquer ne relève pas d’une injonction, la tête coupée du regretté Samuel PATY reste un symbole, dont aucun discours ne parviendra à effacer la violence. De même, la réussite ne se décrète pas comme un slogan, pas plus que l’égalité des chances, dont l’espoir perdu sonne comme le glas d’une société de plus en plus soumise au bon vouloir des hyper-riches.

On peut bien sûr améliorer les flux, chercher des places à tel ou tel élève ou étudiant perdu en chemin, accompagner tel ou telle dans ses ambitions. Le faire avec conviction et imagination, c’est mieux, mais l’orientation parle de la vie, porte des espérances et dialogue avec son époque. Un casque en réalité augmentée ou un salon, un témoignage ne suffisent pas à attirer vers tel ou tel métier. Quelques bonnes pratiques ou même les plus beaux villages Potemkine ne sont pas de nature à répondre aux enjeux de l’orientation en ces temps de profondes mutations.

Les choses percutent les mots. Un éléphant est dans la place, mais on ne le voit pas.

Pour une orientation réussie où tous les acteurs pourraient trouver leur compte ?

Par Annick SOUBAI, directrice du CIO des enseignements supérieurs en Sorbonne et Bernard DESCLAUX, directeur de CIO honoraire.

La concertation nationale sur l’orientation lancée par les éphémères Anne Genetet et Alexandre Portier se poursuit[1]. Elle s’ajoute à la longue liste de rapports de nature diverse qui évaluent notre système d’orientation. Celle-ci a une visée pragmatique. Elle recherche de bonnes pratiques pour concilier les différents niveaux de gouvernance dans un partenariat public-privé, État-régions, qui soit opérationnel et au service d’une orientation réussie où tous les acteurs pourraient trouver leur compte.

Le nombre d’organisations consultées est considérable. Les personnels d’orientation, psychologues de l’Éducation nationale, sont des acteurs parmi d’autres. Ils sont pris entre lassitude, méfiance, voire indifférence. Il est cependant heureux de constater que l’orientation préoccupe, car il s’agit de réfléchir à l’avenir d’une société à travers la question des places sociales qui seront occupées. On parle donc en creux de cohésion sociale.

Une première thématique du questionnaire interroge la gouvernance possible et nécessaire. Or, depuis les lois de décentralisation, l’État s’appuie davantage sur les Régions, et la diversité des acteurs nécessite dialogue, complémentarité et clarté. La multiplication des intervenants accroît la complexité au niveau territorial. La mise en œuvre du service public régional d’orientation (SPRO) fut longue et complexe. Aujourd’hui, depuis la loi de 2018, l’attribution aux régions de la compétence sur l’information concernant l’orientation professionnelle rencontre de nombreuses difficultés : engagement variable et de nature différente selon les régions et articulation difficile avec les services de l’Éducation nationale. Il semble que la collaboration s’effectue pour le moment au niveau des étages « supérieurs » et que les effets sur le terrain se fassent attendre.

Le questionnaire signale un autre creux : la coupure du ministère avec la réalité des pratiques de terrain d’une part et des résultats de la recherche d’autre part. On s’étonne que des dispositifs indépendants d’évaluation ne soient pas davantage mis en place pour mesurer les effets de l’organisation nouvelle et des projets d’initiative d’avenir et autres votés par la représentation nationale et dont le ministère a la charge de la mise en œuvre. Cette consultation du terrain laisse supposer que les systèmes d’information du ministère ne fonctionnent pas à moins qu’ils ne soient l’objet de suspicion.

La deuxième thématique du questionnaire porte sur l’accompagnement des jeunes dans la construction de leur parcours. Cet accompagnement fut relativement simple pendant longtemps, se jouant autour de trois acteurs : l’établissement (ses personnels et notamment les enseignants), le conseiller d’orientation, l’élève et ses parents. Aujourd’hui, le paysage est beaucoup plus complexe. Le ministère désigne l’établissement comme responsable de l’organisation de cet accompagnement avec des directives, mais sans moyens ni obligations. Les conseillers, devenus psychologues de l’Éducation nationale depuis 2017, ont reçu une multitude de missions dans lesquelles l’orientation se trouve noyée. Un nouvel acteur, la région, a été institué dans le champ de l’information. À tous ces acteurs potentiels, il faut en rajouter deux nouveaux. Un secteur marchand de l’accompagnement se développe sous diverses formes : offre de service de conseil, de coaching, d’accompagnement, publications papier ou digitales, plateformes numériques. Un secteur associatif est également en pleine expansion, promouvant le mentorat, parfois subventionné par l’État. Cette multiplication rend bien difficile l’efficacité d’une politique publique.

La question du choix éclairé est posée dans ce questionnaire et notamment à travers l’information des publics. L’information ne manque pas, les sources et la nature de celles-ci se multiplient (salons, rencontres, webinaires, MOOC, brochure de l’ONISEP, etc.). Les bonnes pratiques sont partout, mais difficilement évaluables. Sur documentés, les élèves et leurs familles n’en sont pas moins sous informés, par manque de médiation efficace. La didactique de l’information en orientation n’existe pas en France dans le secondaire. Malgré les heures prévues, fussent-elles de 54 heures au lycée, la psychopédagogie du projet, prônée par Antoine LEON dès les années 50, ou l’ADVP (Activation du développement professionnel et personnel, provenant du Québec dans les années 70) n’ont jamais essaimé en France. Cette pratique est restée cantonnée à l’enseignement supérieur, promue dans les années 80, notamment par Geneviève Latreille. Des cours d’orientation existent dans l’enseignement supérieur sous forme d’unité d’enseignement (UE). Dans le secondaire, un référentiel des compétences à s’orienter a été réactualisé par l’ONISEP. Il pourrait servir de cadre pour penser et articuler les interventions.

Mais toujours pas de curricula. L’éducation des choix a disparu du vocabulaire, comme celle d’éducation à l’orientation, remplacée par un Parcours Avenir, dont l’idée même de projet a été rayée des consciences. On se concentre sur la présentation des métiers en tension et des métiers d’avenir dans une visée adéquationniste, qui ne prouve pas son impact. Certains métiers sont boudés et ce n’est pas par manque de connaissance. Ils ne sont pas attractifs. Les familles n’en veulent plus pour leurs enfants et les jeunes ne s’y intéressent pas, non plus. On oublie que certains métiers ne sont pas choisis, que certaines professions sont seulement alimentaires et ne correspondent à aucun rêve, l’emploi prime.

L’orientation réussie ne vaut que pour certains, les vainqueurs, comme le dit François Dubet, mais le seront-ils encore longtemps ? Une société durable suppose solidarisme (fraternité ?) entre ses membres. Concevoir la réussite comme nécessitant l’échec de certains risque bien d’aboutir à l’échec de tous.

Pour suivre l’actualité de la Consultation nationale


[1] Page sur Eduscol du Ministère de lancement de la consultation

Intervention au CICUR

« Le curriculum est devenu un mot usuel pour les indications sur le cours de la vie, des études, des situations professionnelles d’une personne ; il est souvent associé à la recherche d’emploi » Dictionnaire historique de la langue française (2022).

Le GREO a eu l’honneur d’avoir deux représentants auditionnés (Bernard Desclaux et Francis Danvers) en distanciel (focus group)  par le CICUR à propos de la « politique curriculaire » et l’orientation scolaire et professionnelle en France, le 17 mars dernier. (Francis Danvers) 

Communiqué

2 nouvelles, une bonne et une mauvaise

la bonne: bientôt la date anniversaire de la création des CIO tout juste un peu plus de 50 ans (decret du 7 juillet 71 paru au JORF du 8 juillet), l’APSYEN lance l’idée au niveau national que cela soit fêté dans tous les CIO de france, l’occasion d’inviter les partenaires, les parents, de réfléchir au “CIO du XXie siècle”, seul mot d’ordre festivité, créativité

la mauvaise : l’équipe du CIO d’Aulnay sous Bois, (qui fait partie des CIO historiques à travers les “figures” de la profession qui y ont exercé et le rayonnement du travail de ses équipes)  a appris le 17 mai dernier que ce CIO sera fermé le 7 juillet (date anniversaire et donc hasard ou volonté symbolique)… sans relogement , ce qui revient à dire disparition d’un CIO situé dans l’une des plus grosses villes de seine st denis et d’idf

Bien sur l’équipe est mobilisée et agit pour trouver une solution, mais rectorat et municipalité font la sourde oreille, laissant les “techniciens” des services immobiliers poursuivre leur travail pour lequel ils ont été missionnés…. déloger l’équipe du CIO

si vous souhaitez soutenir l’équipe, et diffuser l’info,

www.change.org/MaintienCIOAulnay93

Sylvie AMICI

Psychologue et Formatrice

Education nationale, Ac.Créteil

CIO d’Aulnay sous Bois (93)
N°ADELI 939308623


Présidente de l’APsyEN www.apsyen.org

Annonce

Je vais recevoir Maria PAGONI (PU laboratoire CIREL, Université de Lille) sur le thème :

« L’accompagnement des transitions professionnelles raconté par les conseillers »

le 10 mai 2022 de 18 h à 20 heures dans le cadre de l’Association « L’esprit d’Archimède » (CERLA. Université de Lille) : esprit-archimede.org

L’auteure vient de publier un ouvrage collectif : L’accompagnement dans le cadre du Conseil en Évolution Professionnelle (CEP). Professionnalisation des conseillers et sécurisation des parcours professionnels. Coll : Sciences sociales. Connaissances et savoirs.2022. (290 p).

Conférence en replay sur la plateforme Webtv de l’Université de Lille : webtv.univ-lille.fr

Bon week-end !

Francis Danvers

Conférence

Dans le cadre de la séance du GREO du 8 avril prochain à partir de 14 h en distanciel, intervention de

Madame Chantal Borgel

“Les nouveaux enjeux économiques de la VAE : un dispositif au service de la société ?”

Avec la thématique envisagée :

  • Rappel de l’historique, définition du dispositif
  • Les expérimentations en cours (2022) : problèmes et perspectives
  • La nouvelle donne : l’indispensable transformation du métier d’accompagnateur
  • L’actualité : l’exemple des métiers du soin :” le gouvernement mise sur l’apprentissage, la VAE et les passerelles “

Madame Chantal Borgel finalise une thèse de doctorat en psychologie sur le rôle de l’accompagnement professionnel sur la réussite en formation.

Pour assister à cette visioconférence le lien est à demander à Madame Marie-Lise Lorthiois marielise.lorthiois@gmail.com